Portrait expert
Professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, Laurent Bègue-Shankland est également directeur de la Maison des Sciences Humaines Alpes et membre de l’Institut Universitaire de France. Ses recherches l’ont notamment amené à décrypter les mécanismes de l’influence des médias virtuels et immersifs sur le comportement des individus et sur leur rapport aux autres.
Anticiper le harcèlement en ligne : s'informer et dialoguer
Apprendre à identifier les différents types de cyberharcèlements
Comment reconnaître les signes d'un cyberharcèlement
Comprendre le cyberharcèlement, c’est également apprendre à en reconnaître les signes. Cet exercice est d’autant plus périlleux qu’il ne repose en rien sur une science exacte. « Il n’existe pas de critères précis qui peuvent être identifiés comme impliquant nécessairement du cyberharcèlement, confirme Laurent Bègue-Shankland. L’attention générale des parents doit se porter sur toutes les sphères de la vie quotidienne de l’adolescent ou de l’enfant. Quand se manifestent des signaux d’alarme, il faut alors peut-être commencer à faire des hypothèses, à poser des questions. »
Ces fameux signaux d’alarme peuvent être de diverses natures :
- Troubles du comportement alimentaire,
- Troubles du sommeil,
- Troubles de l’attention,
- Isolement social,
- Baisse des résultats scolaires,
- Rejet de l’école.
Comment amorcer le dialogue autour du cyberharcèlement avec son enfant ?
Dialoguer avec son ado ou son enfant est primordial dans le cadre d’une bonne prévention contre le harcèlement en ligne. En tant que parent, votre âge et votre expérience vous permettent un recul sur la question dont les plus jeunes ne sont pas toujours capables. En vous étant informé au préalable, vous serez à même de comprendre tous les enjeux entourant ce phénomène, d’alimenter l’échange de manière pertinente, et d’apprendre des choses à votre jeune.
Avant tout, la possibilité d’une conversation passe nécessairement par un climat général de réceptivité et d’ouverture au sein du foyer. Ainsi, lorsque survient une crise, l’enfant se sentira libre de vous en parler.
Même ainsi, ce n’est pas évident d’aborder un sujet potentiellement sensible avec son fils ou sa fille. Mais pas impossible non plus.
« On peut, tout simplement, demander à son ado si le sujet a été évoqué en classe, de nous raconter ce qui a été dit par les enseignants ou bien par le personnel scolaire sur le sujet, suggère le professeur Bègue-Shankland. On peut aussi venir vers l’enfant avec la documentation que l’on s’est fournie, en lui disant par exemple qu’on a lu un article intéressant et qu’on aimerait savoir ce qu’il en pense, s’il y a des choses qu’il aimerait partager sur ces questions. »
L’idée ? Créer un espace de partage très libre, qui vous permettra, à vous, parent, de transmettre des informations pertinentes sur la manière d’analyser et de réagir à des situations de cyberharcèlement. Votre enfant doit comprendre que vous serez toujours là pour lui; et que, s’il est déjà exposé à cette problématique, il peut très librement le verbaliser. Que ce soit auprès de vous, auprès de ses professeurs, ou via l une des plateformes gouvernementales existantes comme le 3018.
Savoir déceler si son enfant est un cyberharceleur
Qui dit « victimes de harcèlement en ligne » dit nécessairement « cyberharceleurs ». En tant que parent, il peut être difficilement concevable d’imaginer son enfant en opprimer d’autres. Pourtant, 12 % des ados de 11 à 15 ans reconnaissent avoir déjà été un jour des cyberharceleurs, selon l’OMS. Souvent, le jeune harceleur en ligne n’a même pas conscience de la nature exacte de son comportement. Pour cette raison, là encore, le dialogue et la prévention sont indispensables. Ils permettent aux plus jeunes de bien appréhender la portée de leurs actes, et de saisir leur caractère malveillant.
Vous suspectez votre ado de s’adonner au cyberharcèlement ? Ces signes doivent vous conduire à vous interroger :
- Changement de comportement au domicile ou à l’école,
- Sentiment apparent de mal-être : colère, tristesse, solitude, insécurité…
- Influence manifeste exercée par un groupe ou par des camarades,
- Détention de multiples comptes sur les réseaux sociaux, dont l’un peut être un faux profil utilisé pour brimer un autre enfant,
- Usage croissant et excessif des technologies numériques.
Faire face au cyberharcèlement : écouter, accompagner, agir
Comment réagir lorsqu'on apprend que son enfant est victime de harcèlement en ligne ?
Ne pas juger
Cette absence de jugement est primordiale. Le poids du regard de ses parents et la crainte de leur réaction peuvent être une source de tension supplémentaire pour un enfant harcelé, qui peut l’inciter à garder le silence. Notamment dans des situations touchant à sa sphère intime. Dans les cas de revenge-porn ou de sexting non consenti par exemple, nombreuses sont les victimes à redouter une phrase du type « Pourquoi as-tu pris ces photos ? ». Réagir ainsi revient à inverser la culpabilité et à pointer du doigt la victime. « Il faut essayer de stopper toute réaction impulsive, c’est-à-dire ne pas manifester de jugement par des phrases malencontreuses, et faire comprendre à l’enfant qu’il est la victime, qu’on est là pour l’aider et pas pour l’évaluer ou le juger », insiste notre interlocuteur.
Garder son calme
Comment faire cesser le harcèlement en ligne de mon enfant ?
Les réseaux sociaux et les messageries en ligne mettent eux-mêmes à disposition divers moyens de réduire l’exposition d’un utilisateur à la malveillance de ses harceleurs. Il est par exemple possible de désactiver les notifications indiquant que tel ou tel profil nous a contacté ou mentionné, ou encore de bloquer le ou les comptes problématiques.
Devez-vous retirer à l’ado victime de harcèlement son téléphone ou tout accès aux réseaux sociaux ? Cela n’est pas la meilleure des solutions, selon le professeur Bègue-Shankland. « Bien qu’il y ait évidemment des règles à mettre en place sur la durée ou les conditions d’utilisation, l’enfant doit être certain qu’on ne va pas lui retirer son téléphone. C’est un objet qui a beaucoup d’importance pour lui, parce qu’il lui donne accès à de nombreux services, à un espace qui lui est propre et à de nombreuses situations sociales. »
Ainsi, priver la victime de son smartphone, de sa tablette ou de son ordinateur peut être perçu comme une punition. Ce qui entraînera encore une fois un sentiment d’inversion de la culpabilité qu’il faut absolument éviter.
Les cas de cyberharcèlement sont des situations délicates dont la résolution nécessite une méthodologie, une sensibilité et un savoir-faire spécifiques. Si votre enfant est victime de cyberharcèlement, ou si vous vous demandez si c’est le cas, vous pouvez vous tourner vers différentes personnes ou différentes entités pour vous faire épauler :
- Les équipes éducatives : aujourd’hui, les membres du corps enseignant et l’ensemble des personnels scolaires sont sensibilisés à la problématique du harcèlement et du cyberharcèlement, grâce notamment au déploiement du programme Phare en 2021. Si votre enfant est la cible de certains de ses camarades de classe, parlez-en avec ses professeurs, le dirigeant de l’établissement ou encore l’infirmier ou l’infirmière scolaire. Faites également savoir à votre petit ou à votre ado que si jamais il est confronté à une situation de harcèlement, il peut en discuter avec toutes ces personnes.
- Le 3018 : numéro gratuit et anonyme dédié aux jeunes victimes et aux témoins de cyberharcèlement, le 3018 est une ressource tant pour les enfants harcelés que pour les parents. Disponible 7 jours sur 7, le 3018 existe également sous forme d’une application pour smartphone. Les écoutants accompagnent et agissent pour aider les victimes à faire disparaître les comptes et les contenus préjudiciables.
- Les professionnels de santé : subir du harcèlement en ligne est une situation éprouvante, qui peut déstabiliser mentalement et perturber émotionnellement. En cas de signes persistants de mal-être, ou de changement brusque et durable de l’humeur ou du comportement de votre enfant, il peut être bénéfique de se tourner vers un professionnel de santé, comme un psychologue. Il pourra l’aider à verbaliser et à évacuer les émotions négatives qui l’habitent. Toutefois, il faut recourir à cette méthode avec pertinence, précise Laurent Bègue-Shankland. « C’est évidemment à apprécier en fonction du retentissement de ce harcèlement pour les enfants. Dans de nombreux cas, ce n’est pas nécessaire. »
Entreprendre les démarches pour faire cesser le cyberharcèlement
Pour rappel, le harcèlement en ligne est pénalement répréhensible, et peut entraîner de nombreuses sanctions.